Les 13 et 14 novembre 2024, nous accueillons lors de notre premier café littéraire 24/25, trois poétesses suisses, dont Salomé Chofflon. Pierre Schouwey, LA LIBERTÉ, lui a dédié un article en juin dernier.
Salomé Chofflon, l’autrice fribourgeoise qui court après les mots
La Giblousienne de 24 ans s’épanouit dans deux mondes plus proches qu’il n’y paraît: la course à pied et la poésie.
La Liberté pour elle, c’est la deuxième moitié. D’abord le troisième cahier (les sports), celui qui fait état depuis plusieurs années de ses chronos: 1 h 14’38 à Morat-Fribourg, 1 h 28’08 à Neirivue-Moléson, 38’57 aux 10 kilomètres de Payerne. On trouve aussi une trace de son nom dans le feuillet «Magazine», celui-là même que vous tenez entre vos mains à vous demander si vous allez consacrer huit minutes de votre journée à lire ce portrait.
Salomé Chofflon les vaut bien. Le profil est atypique, le personnage authentique. Il se raconte dans Vagues au cœur, Courage, Ella L., La Mer, Annette: autant de publications à vocation autofictionnelle qui font de l’athlète régionale une autrice originale. Ou est-ce l’inverse? La Giblousienne de bientôt 25 ans ne fait pas de hiérarchie, ni de catégories, mais clame, entre deux gorgées d’infusion pomme hibiscus orange: «Je suis une femme qui court, une femme qui écrit.»
Moins de spleen, plus d’idéal
La rigueur du plan d’entraînement d’un côté, l’évasion artistique sans autre contrainte que le nombre de syllabes de l’autre: de prime abord, Salomé Chofflon campe à la frontière de deux univers sans grand dénominateur commun. Observation qu’elle contredit d’un sourire timide, mais avec fermeté, s’appuyant sur les mots de l’écrivaine genevoise Catherine Safonoff qu’elle a, pour un travail universitaire et dans le cadre des Journées littéraires de Soleure, interviewée récemment: «Elle dit quelque chose qui est à la fois très beau et très vrai. Dans un texte, il y a du mouvement et de la respiration. Pour maîtriser ces deux éléments, il faut préalablement les avoir expérimentés dans la «vraie» vie, à travers son corps.»
Aussi et surtout, son rapport à la course s’est métamorphosé. Révolue, l’époque des séances lactiques à tire-larigot et l’obsession de la performance. Si l’ancienne spécialiste de 800 mètres du CAG Farvagny a ressorti ses baskets du placard durant la pandémie après trois ans de coupure, c’est moins pour la compétition que pour l’équilibre personnel qu’elles procurent.
Moins de spleen, plus d’idéal. «Courir par tous les temps, entendre le vent dans les arbres, c’est expérimenter la nature sous toutes ses formes. Il m’arrive toujours de m’astreindre à des entraînements fractionnés, parce que je sais très bien qu’il n’y a rien de mieux pour progresser. Mais j’en fais seulement quand j’en ai envie, c’est-à-dire pas assez souvent!»
Chaque sortie dans le bois Cornard (entre Magnedens et Ecuvillens), avec ou sans son frère Corentin, redoutable lui aussi une Garmin au poignet (1 h 06 à Morat-Fribourg), est une nouvelle page blanche. Chaque pas est une phrase qui se construit, un chapitre qui se déroule sous ses pieds. «Quand je capture une idée, je la note tout de suite sur mon téléphone. L’effort débloque des choses, il permet de dézoomer lorsqu’on a la tête dans le guidon.»
C’est bien connu: courir libère des endorphines. «Et la pensée», complète l’étudiante en français et histoire, pas forcément prédestinée à intégrer la faculté des lettres. «Quand j’ai découvert la biologie et la chimie au collège, je me suis prise de passion pour les sciences naturelles. Je me rêvais biologiste marine ou vulcanologue.» Mais arrivée à la croisée des chemins, Salomé Chofflon préférera Apollinaire à Einstein.
Nicole Schaller n’est pas étrangère à ce «plot twist». Prof de français au Cycle d’orientation du Gibloux, c’est elle qui a repéré et aiguisé la plume qui «sévit» aujourd’hui. «C’était une rédaction sur la plus grosse peur de notre vie. Lorsqu’elle m’a rendu mon texte racontant la terrible via ferrata du Moléson effectuée en compagnie de mon père et de mon frère, elle m’a fortement encouragée à persévérer dans l’écriture.» Avec tellement de conviction que l’habitante de Farvagny, bouquineuse depuis petite, s’est aventurée dans un premier livre.
Rencontres inspirantes
«Une histoire d’adoption, souffle-t-elle. Je ne l’ai jamais terminée. Je n’avais pas encore compris qu’il n’y a rien de mieux que sa propre expérience pour nourrir son écriture.» Dix ans plus tard, la relation prof-elève a laissé place à l’amitié. «Nicole et moi partons en vacances ensemble cet été!» ajoute celle qui se verrait, elle aussi, enseigner, mais au collège, et sans se couper du monde de la littérature qu’elle adore.
L’amour du sport vient de la famille, celui des mots de rencontres. Après Nicole Schaller, il y a eu Matthieu Corpataux. «C’est une personne qui m’a inspirée et qui m’inspire toujours», dit Salomé Chofflon à propos du fondateur de L’Epitre. Une revue de relève littéraire dont elle fait partie du comité de lecture et à laquelle elle contribue.
La poésie? «La forme qui convient le mieux au mouvement de ma pensée, mais je me verrais bien revenir à la prose un jour.» La liberté de style, la liberté de courir sans contrainte, La Liberté des troisième et quatrième cahiers: c’est un peu tout ça, Salomé Chofflon.
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